C'est quoi le mouvement brownien ?
- Élodie Millan
- 13 sept. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Imaginez un délicieux brownie… empoisonné, servi lors d’un dîner malintentionné. Chaque invité, bien élevé mais soucieux de rester en vie, évite poliment de le manger en le repoussant du bout des doigts. Chacun le fait à un moment et dans une direction totalement aléatoires.
Le brownie se retrouve ainsi balloté d’un coin de table à l’autre, heurtant verres, assiettes et couverts, dans une trajectoire chaotique et imprévisible. Si l’on mesurait sa position en fonction du temps, on observerait un déplacement aléatoire, sans direction privilégiée. Et comme les invités sont répartis uniformément autour de la table, il n’y a aucune raison pour qu’il dérive davantage dans un sens que dans un autre.
Au fil du temps, sa position moyenne resterait proche de son point de départ, avec des fluctuations autour de celui-ci — un parfait exemple de mouvement brownien, version gastronomique.
Évidemment, le mouvement brownien ne concerne pas un vrai brownie ! En réalité, c’est le mouvement aléatoire de particules microscopiques ou nanoscopiques — appelées colloïdes — en suspension dans un fluide. Ces colloïdes sont constamment bousculés par les molécules du fluide environnant. Pourquoi ? Parce que les molécules sont en agitation permanente. Plus elles bougent, plus elles ont d’énergie : c’est ce qu’on appelle l’énergie thermique, directement liée à la température que l'on peut mesurer.
Dans notre analogie du dîner, les invités représentent les molécules du fluide. La température joue un rôle clé : plus elle est élevée, plus les molécules — ou ici, la patience des invités — s’agitent, et plus elles repoussent fréquemment et brusquement le colloïde — où ici, le brownie. Ces poussées aléatoires, accumulées au fil du temps, entraînent un déplacement chaotique du colloïde dans le fluide. Ce mouvement désordonné, causé par une multitude de petites interactions aléatoires, correspond exactement à ce que l'on observe : le mouvement brownien. Ce phénomène devient négligeable lorsque les colloïdes sont trop grandes pour être significativement influencées par les chocs des molécules environnantes. La vidéo ci-dessus montre ce phénomène dans la réalité, en suivant le mouvement brownien de grains de pollen de taille micrométrique.
Pour comprendre l’origine de ce phénomène, il faut remonter le temps. En 1827, le botaniste et explorateur Robert Brown utilisait l’un des premiers microscopes pour étudier des grains de pollen. À sa grande surprise, il observa que ces grains, une fois placés dans l’eau, se déplaçaient de façon erratique, sans trajectoire définie.
À l’époque, de nombreux scientifiques étaient sceptiques — persuadés que la nature n’avait plus de secrets pour eux — et attribuèrent ces mouvements à des illusions d’optique ou à la mauvaise qualité des lentilles. Mais plus tard, on reconnut que ce mouvement était bien réel. Il fut nommé mouvement brownien, non pas en l’honneur d’un gâteau, bien sûr, mais de Robert Brown lui-même.
Quelques décennies plus tard, en 1901, Louis Bachelier développa le premier modèle mathématique de ce mouvement, posant les bases de la théorie des processus aléatoires. Fait amusant : ses travaux furent appliqués non pas à la physique, mais à la finance — un autre domaine où les fluctuations sont imprévisibles.
Puis vint l'ère d'Albert Einstein. En 1905, il formula une équation fondamentale pour décrire la diffusion des colloïdes dans un fluide. Il montra que le coefficient de diffusion — qui décrit la vitesse à laquelle une particule se disperse — dépend du rapport entre l’énergie thermique du milieu et la mobilité du colloïde (elle-même liée à sa taille et à la viscosité du fluide). Ce coefficient exprime l’équilibre entre les chocs thermiques aléatoires et la résistance due au fluide.
Einstein montra de façon remarquable que ce coefficient permettait d’estimer la taille des molécules, simplement à partir de l’observation du mouvement brownien.
En 1908, Paul Langevin proposa une description dynamique du mouvement brownien. En s’appuyant sur les travaux d’Einstein, il écrivit une équation du mouvement en utilisant les lois de Newton, mais en y ajoutant une force aléatoire lié à l’agitation thermique. Un an plus tard, en 1909, Jean Perrin utilisa la théorie d’Einstein pour mesurer expérimentalement le nombre d’Avogadro — le nombre d’atomes dans 12 grammes de carbone 12. Son travail confirma l’existence des atomes et la réalité du mouvement brownien.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, on sait bien décrire la diffusion d’une particule microscopique dans un fluide homogène, loin de tout obstacle. Mais voilà le hic : la nature est rarement aussi simple. En réalité, rien n’est jamais vraiment "libre" ou isolé.
Prenons les globules rouges, par exemple. Ils se déplacent dans des vaisseaux sanguins étroits, souvent au milieu de nombreuses autres cellules. Peut-on encore appliquer les lois classiques du mouvement brownien dans un tel environnement ?
Pas directement. De nombreux effets physiques supplémentaires entrent en jeu. Par exemple, la paroi du vaisseau influence le mouvement des colloïdes. Leur diffusion dépend de la distance à la paroi : le coefficient de diffusion n’est donc plus constant, mais varie avec la position. De plus, les globules rouges ne sont pas seuls : les interactions entre colloïdes modifient aussi leur comportement.
C’est précisément ce genre de questions qui guide ma recherche. Durant ma thèse, j’ai étudié comment le confinement affecte le mouvement brownien, ainsi que l’influence des interactions entre particules. Même aujourd’hui, près de 200 ans après la découverte de Robert Brown, le mouvement brownien reste un terrain d’exploration scientifique fascinant.
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